Rencontre #5 – Avec Emma Chamard enseignante & travailleuse sociale

Emma Chamard enseigne le français à des étrangers, pour beaucoup en grande précarité.

En y regardant de plus près, c’est un peu plus compliqué que ça… le « vrai » travail d’Emma n’a en réalité pas grand-chose à voir avec sa « fiche de poste ».

Plongeons avec cette rencontre dans tout ce qu’Emma imagine, met en œuvre, pour s’adapter à des situations pédagogiques et sociales qui en désespéreraient plus d’un(e)…

C’est à partir de mon Manuel de transgression à l’usage de ceux qui veulent s’épanouir au travail que nous sommes partis explorer les « ficelles » de son métier.

Emma Chamard et Christophe Genthial

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : bon Christophe, ça va mal commencer (rire). Avec cette phrase qui m’a choquée dans ton livre : « ceux qui s’obstinent à rapprocher temps de travail et rémunération s’égarent : parce qu’ils ont probablement oublié le plaisir qu’il y a à travailler », page 45. Je peux te dire que pour moi, enseignante de FLE (Français Langue Étrangère) ce n’est pas vrai !

Christophe G. / Travail Vivant : explique-moi ça !

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : je suis très mal payée pour le travail que je produis. Pour autant, je connais le plaisir que j’ai à travailler. Cette rémunération, indécemment faible, c’est comme la punition qui compenserait la « chance » qui serait la nôtre, enseignants de FLE, d’exercer un beau métier qui nous permet de satisfaire une forme de vocation.

Christophe G. / Travail Vivant : je comprends. On voit ça dans beaucoup de ces métiers dont on dit qu’on les fait « par vocation ». Une manière de justifier une faible reconnaissance, sociale comme salariale : les infirmières, les métiers de la petite enfance, les éducateurs spécialisés… des métiers que l’on dirait aujourd’hui évidemment « essentiels » et qui sont pour autant parfaitement sous-reconnus, sous-rémunérés…

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … et ça ne concerne pas que la rémunération, d’ailleurs… ça concerne aussi les conditions de travail très difficiles. En réalité, si tu me demandes quel est mon travail…

Christophe G. / Travail Vivant : … et bien je te le demande donc (sourire). Emma, quel est ton travail ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : je travaille dans le social. Je suis enseignante ET travailleuse sociale. Et je t’assure que si je n’avais pas eu mes vies professionnelles précédentes, reconnues et honnêtement payées, un compagnon qui gagne bien sa vie et partenaire indéfectible, mais aussi accepté une forme de frugalité de vie, je serais depuis longtemps partie, découragée, faire autre chose ! D’ailleurs je l’ai fait ! Mais c’est plus fort que moi, je suis revenue là où mon cœur et le sentiment de « sa juste place » me portaient le plus.

Christophe G. / Travail Vivant : on parlera un peu plus tard de tes « autres vies professionnelles » et de ce qu’elles te permettent de faire dans ton métier de « travailleuse sociale enseignante ». Tu nous dirais déjà ce qui te pousse à faire ce métier, dans ces conditions, et qui plus est, avec autant d’enthousiasme ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : mais parce que je suis rémunérée en gratitude, en richesse humaine et intellectuelle ! En moments inoubliables. Par les résultats évidents que j’observe dans la dignité retrouvée des élèves, dans l’assurance qu’ils développent pendant leur formation, leurs progrès visibles.

*

Christophe G. / Travail Vivant : j’insiste beaucoup dans mon livre sur l’importance de comprendre que le « vrai » travail est « invisible » : il se trouve dans toutes nos initiatives, grâce auxquelles nous atteignons nos objectifs, alors que la réalité souvent s’y oppose…

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … je m’y retrouve bien. Par exemple, mon travail, plus que « d’enseigner le français », c’est de parvenir dans les premiers instants avec les stagiaires, par tous les moyens, à « faire groupe », avec des stagiaires qui arrivent le plus souvent humiliés, avec la conviction qu’ils ne vont pas y arriver. C’est un sacré challenge, à chaque fois. Et pourtant, ce travail-là, personne ne le voit, ni même le soupçonne.


Je plonge dans mes connaissances géopolitiques, sociales, historiques. Grâce à elles je me fais mentalement le profil géopolitique et psychologique de chaque « apprenant ».


Christophe G. / Travail Vivant : « faire groupe », on t’a expliqué comment faire ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : tu rigoles ? Bien sûr que non ! Même si, bien sûr, on apprend des techniques d’animation.

Christophe G. / Travail Vivant : comment fais-tu ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : je puise dans mes expériences passées d’animation et de gestion de groupes et un certain sens psychologique. Je plonge dans mes connaissances géopolitiques, sociales, historiques. Grâce à elles je vais anticiper que deux stagiaires d’un même pays, peuvent en réalité arriver avec une vraie tension entre eux, pour des motifs ethniques, politiques, religieux, de genres… je me fais mentalement le profil géopolitique et psychologique de chaque « apprenant ». Je repère les motifs de rapprochement ou de conflit entre eux. Ensuite, je repère les leader, les faux-leader, les soumis.

Christophe G. / Travail Vivant : et eux aussi, j’imagine te voient avec un regard formaté par leur histoire, leur culture ? Ils te posent, chacun à leur manière la question de ton autorité ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : bien sûr. Tous me testent. Il y a en gros ceux qui me voient illégitime, pour tout un tas de raisons et ceux qui vont au contraire me considérer comme une sorte de sauveur omnipotent… je travaille à rester à ma place : je suis juste moi. Avec un petit « pouvoir », qui m’appartient, depuis ma place d’enseignante.

Christophe G. / Travail Vivant : cette question de notre place au travail, ça me parle beaucoup. Psychologue, en consultation, la question de nos places est centrale : la mienne en tant que psychologue, parfois coach, et celle de mes patients…

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … et bien nous avons des préoccupations communes (sourire) : je sais où est ma place, d’enseignante. Mais je vais la partager avec eux. Dès le premier jour. Jusqu’à un certain point, avec un œil en permanence sur nos places, toujours en mouvement. Évaluer la limite. La défendre s’il le faut, ou les encourager à s’en approcher s’ils n’osent pas.

Christophe G. / Travail Vivant : … en consultation, nous disons que nous nous mettons, nous, psychologues, au service de nos patients : je deviens l’instrument de leur travail. Je ne dois pas travailler à leur place, mais les aider à travailler en m’utilisant. Je dois être un « bon outil ». Et les aider à s’en servir. Il y a de ça aussi dans ton travail ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : oui je crois. Je dois arriver à les faire se mettre au travail, en m’utilisant, comme toi je crois. Je m’engage pour initier l’activité, puis je me mets un peu en retrait, pour qu’ils s’engagent à leur tour.


Les erreurs, les fautes de français, par exemple. J’adore qu’ils fassent des fautes. Mais quand j’en parle autour de moi, j’observe que c’est plutôt « contre-intuitif »


Christophe G. / Travail Vivant : tu as un exemple ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : les erreurs, les fautes de français, par exemple. J’adore qu’ils fassent des fautes. Mais quand j’en parle autour de moi, j’observe que c’est plutôt « contre-intuitif »… le stagiaire qui va dire « vous faisez », je vais le féliciter plus que tous les autres ! Parce qu’il a bien travaillé ! Il a trouvé la conjugaison logique. Il a retenu la règle. Et l’applique correctement. C’est la langue française qui est complexe, voire tordue, faite de règles empilées au fil des siècles, de l’usage dégradé et des fautes acceptées, des bouts de langues intégrées ! Pas question de mettre l’accent sur l’erreur du stagiaire, mais sur sa réussite, et s’en servir pour en partager l’enseignement avec le groupe.

Christophe G. / Travail Vivant : je me dis que dans l’entreprise, le manager pourrait s’inspirer de cette façon de faire ? Retenir l’erreur pour l’utiliser, plutôt que pour la sanctionner… avec une différence sûrement : le salarié est payé pour ne pas faire de faute…

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … oui, mais comme pour mes stagiaires, le salarié apprend et innove en se trompant…

Christophe G. / Travail Vivant : … avec cependant ce lien de subordination du contrat de travail qui complique la situation. Le salarié doit à la fois progresser, s’adapter mais attention : sans se tromper !

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : je te rejoins. Dans le monde du travail, il faut se tromper pour progresser, mais discrètement. Dans mes cours c’est tout l’inverse. On a presque l’obligation de se tromper, et ça doit se voir ! J’y veille ! Et j’utilise avec malice mes propres doutes ou erreurs en public pour en dédramatiser la portée ! Et puis ça n’est pas tout : le groupe doit rire. Ça fait partie de mon travail : il doit y avoir du rire. C’est un moteur de l’action, de l’apprentissage.

Christophe G. / Travail Vivant : tu as tes manières de faire, pour développer ce rire ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : oui ! je suis assez clown, mime, grimacière, la reine de l’impro, du tac-au-tac ! et je n’oublie pas que mes stagiaires ont souffert. Pour certains c’est même inimaginable : souffert dans leur pays d’origine. Souffert pour rejoindre la France. Et ils souffrent souvent encore ici une fois en France, lorsque leur situation est encore très précaire.

Christophe G. / Travail Vivant : cette souffrance, tu l’évoques avec eux ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : oui, seulement s’ils le souhaitent, dans des échanges informels plutôt en tête à tête.


Si tu savais, une fois la confiance, le respect et le rire instaurés, jusqu’où je peux aller avec cette méthode ! parler de TOUT, sans tabou, des sujets qui fâchent, voire qui tuent, ailleurs


Christophe G. / Travail Vivant : c’est important, ce partage ? On est quand même encore une fois loin de l’enseignement du français comme on l’imagine décrit dans ta fiche de poste…

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … c’est essentiel, oui ! Ils rient en français ! Apprendre à rire en français, c’est apprendre à parler français ! Rire c’est aussi de l’énergie, pour chacun, réinvestie dans le groupe, qui va s’engager encore plus dans l’action. Rire, ça oxygène le cerveau, c’est plus d’efficacité… et enfin, rire c’est un pansement sur leurs souffrances et leur précarité, passées et présentes.

Christophe G. / Travail Vivant : et grâce à cette énergie, ils vont faire encore plus d’erreurs (sourire) ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : se tromper, rire, se tromper, apprendre, rire, se tromper… un cercle vertueux. Mais attention, une ligne rouge : on ne se moque pas des autres. Jamais. Cette ligne rouge, s’ils s’en approchent, ils me trouvent ! Se moquer de soi, oui !, je le fais tout le temps, je me moque beaucoup de moi, j’imite des archétypes de français, ça les fait rire et ça libère peu à peu tout le monde de cette image qu’on cherche à donner en collectif, de nos masques, hontes, faiblesses et défauts. Si tu savais, une fois la confiance, le respect et le rire instaurés, jusqu’où je peux aller avec cette méthode ! parler de TOUT, sans tabou, des sujets qui fâchent, voire qui tuent, ailleurs.

Christophe G. / Travail Vivant : de plus en plus je me dis que la majeure partie de ton travail est « invisible » ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … et ça peut être difficile, parce que je peux manquer de reconnaissance et on a parfois des moments « de grande solitude » dans des situations de groupe. Je suis certaine que les stagiaires (et peut-être mes collègues, ma hiérarchie) n’ont aucune idée de combien tout ça est pensé professionnellement, sérieusement. Même si ça permet ensuite de créer de la légèreté dans les meilleurs moments avec le groupe.

Christophe G. / Travail Vivant : mais au début de notre discussion, tu disais que la reconnaissance de tes stagiaires était ton « vrai » salaire ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : cette reconnaissance, je la reçois ponctuellement quand ils me disent « avec vous c’est clair » ou « j’ai compris ». Mais surtout c’est lorsqu’on se dit au revoir, les yeux dans les yeux. Dans leur regard, à cet instant, il y a tout. Tu parles beaucoup de l’invisibilité du travail. Dans ce regard, je vois cette part d’invisibilité. J’y vois qu’il ou elle a compris que rien n’a été laissé au hasard pendant ces journées passées ensemble. Même si ça avait l’air simple, spontané, naturel, et s’ils ne l’ont d’abord pas compris.

Christophe G. / Travail Vivant : cette reconnaissance te suffit ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : je n’ai pas vraiment le choix. Que l’institution, la hiérarchie, ne voient pas et ne reconnaissent pas le volume et la charge de ce travail invisible, on s’y fait ou on arrête… en revanche, la précarité des contrats et manque de visibilité salariale de cet emploi, là oui, ça me coûte. Mais le plus dur, c’est de devoir accepter la souffrance pudique et la précarité des stagiaires, sans pouvoir y changer grand-chose. Il faut renoncer à vouloir sauver tout le monde… Et se satisfaire d’une attention particulière, d’un coup de pouce pour un ou une de chaque groupe, mettre de l’huile dans les rouages kafkaïens des dispositifs et organismes du champ social.

Christophe G. / Travail Vivant : ça aussi, ça demande un travail à part entière ? Lui aussi invisible et non reconnu ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : oui (sourire). Un vrai travail sur soi. Parfaitement invisible, totalement absent de la « fiche de poste » mais absolument indispensable… et pas le plus simple…

Christophe G. / Travail Vivant : … et encore une fois, personne ne t’a jamais dit comment faire ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : effectivement. Comme tu l’expliques dans ton livre, j’ai dû faire du « zèle », et « transgresser » pour aller bien au-delà de ce qu’on me demandait « juste » de faire.


il y a de tout dans mon collectif de travail ! Ça va de personnalités politiques de premier plan, jusqu’aux derniers des précaires de mes formations ! Et on n’oublie pas les amis ! Et comme je suis bavarde dans la vie, je suis aussi très bavarde « intérieurement » avec toute cette foule d’amis, d’anciens collègues, chefs, clients, stagiaires…


Christophe G. / Travail Vivant : Emma, j’ai envie de te demander si ce que je développe sur le collectif de travail, dans la seconde partie du livre t’a parlé ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : beaucoup. Je vois très précisément ce que tu décris. J’ai 30 ans de vie professionnelle. Dans les médias, la politique, la communication, entre autres. Un nombre de rencontres incalculable… et je travaille en permanence avec le souvenir de l’une ou l’autre de ces personnes rencontrées, avec qui j’échange, à la volée, inconsciemment, en fonction de la situation. J’adore.

Christophe G. / Travail Vivant : (sourire)… moi aussi j’adore : j’adore que tu ais identifié aussi justement cette notion de collectif de travail, et surtout son utilité, qui n’est malheureusement que trop peu partagée aujourd’hui… alors précise nous qui compose ton collectif de travail ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : il y a de tout (rire) ! Ça va de personnalités politiques de premier plan, jusqu’aux derniers des précaires de mes formations ! Et on n’oublie pas les amis ! Ils ont même une sacrée place dans mon collectif de travail. Et comme je suis bavarde dans la vie, je suis aussi très bavarde « intérieurement » avec toute cette foule d’amis, d’anciens collègues, chefs, clients, stagiaires…

Christophe G. / Travail Vivant : ça doit être sacrément bruyant dans ta tête, au boulot (sourire) !

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : c’est un débat permanent, passionné ! En plein cours, dans une réaction appropriée ou une idée lumineuse, il y a le résultat d’une discussion-éclair en moi-même avec un jeune reporter de RFI connu il y a 25 ans, en même temps qu’avec un ami réfugié politique rencontré il y a 10 ans, qui va me donner des ficelles pour comprendre le point de vue de mon stagiaire étranger… mais je vais aussi me rappeler un échange de la veille avec un ami ou un collègue…

Christophe G. / Travail Vivant : … tu viens de parfaitement décrire ce qu’on appelle le « langage intérieur », et qui n’est rien d’autre que la pensée.


Et toi Christophe, ce livre c’est aussi une part de ta « boîte noire » que tu partages ?


Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : et toi Christophe, tous ces témoignages, dans ton livre, ils sont ton collectif de travail ?

Christophe G. / Travail Vivant : hé ! C’était prévu, que tu me poses des questions ? Tu transgresses la règle (sourire) ! Ce livre, je l’ai effectivement écrit avec le souvenir vivant de traces d’expériences, de dialogues, avec d’anciens clients, collègues, patients, amis, enseignants : cet agent de maintenance de l’Imprimerie du Monde, ce directeur d’usine, ces ouvriers postés, ce directeur juridique… tous ces gens avec qui je dialogue moi aussi en permanence mentalement pour mettre à l’épreuve ma pratique. Et décider dans l’action : pendant une consultation, ou une formation, ou une mission.

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … ce livre c’est aussi une part de ta « boîte noire » que tu partages ?

Christophe G. / Travail Vivant : précisément. J’y ai mis les enseignements les plus personnels que j’ai tirés de mes expériences professionnelles, de consultant, de coach, de psychologue. Ces manières de faire qu’on n’enseigne pas toujours ; que j’ai découvert, imaginé, testé, adopté, et finalement accepté de partager, en imaginant qu’elles pourraient être utiles à d’autres.

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : … j’espère que tu as suivi tes propres conseils, lorsque tu nous invites à la prudence, en ne partageant pas toutes nos manières de faire, en en gardant pour nous, pour nous permettre de nous différencier, d’éviter qu’on nous « pique » certaines de nos trouvailles ?

Christophe G. / Travail Vivant : et bien j’ai peut-être été trop imprudent (sourire)… j’en ai quand même partagé beaucoup… Et j’ai même finalement poussé la générosité plus loin encore… en cherchant à rendre toutes ces expériences facilement compréhensibles et réutilisables par les lecteurs, quels qu’ils soient. Et toi, Emma, tu partages facilement tes « trucs », tes « trouvailles », tes « transgressions », bref : le contenu de ta « boîte noire » ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : alors là, oui. Totalement. Pas de limite. Je partage tout. Depuis toujours. Je donne tous mes trucs. Je me rappelle une formation il y a des années où l’un des stagiaires (dans un autre domaine que le français) s’est étonné : « mais Emma, vous partagez tout ? ». Pour lui, un formateur en garde toujours un peu pour lui, pour s’assurer de rester en avance sur ses élèves ! Et bien pas moi. Je donne tout. Sauf naturellement les confidences personnelles ou ce qui peut nuire à quiconque. Là, je suis une tombe ! Et quand j’ai investi le champ politique, ce fut … apprécié !

Christophe G. / Travail Vivant : tu ne l’as jamais regretté ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : jamais. Mais j’ai toujours défendu une forme de liberté professionnelle, par choix. Je n’ai jamais été en CDI par exemple. J’ai d’ailleurs adoré ton passage sur la distinction entre convivialité et collectif. J’ai toujours quitté les environnements toxiques. Ça m’est arrivé d’être avec un management qui organisait des fêtes, des repas d’équipe, comme des remèdes débiles à des situations toxiques.

Christophe G. / Travail Vivant : tu veux dire que la bonne humeur, le bonheur au travail, le rire, ne se prescrivent pas ?

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : oh oui… mais ça se travaille… comme dans un couple ou en famille !

Christophe G. / Travail Vivant : … et bien finalement, à l’exception de cette phrase page 45, on a eu pas mal de choses à partager !

Emma C. / Enseignante ET travailleuse sociale : oui, beaucoup. Merci à toi. La lecture de ton livre a été vraiment jubilatoire pour moi. J’y ai trouvé un nouveau collectif complice ! J’y ai retrouvé la simplicité apparente et la mise en mots lumineux qui caractérisent un bon pédagogue. Celui qui a digéré des notions et expériences riches et complexes et souhaite avant tout partager, faire avancer ses stagiaires/patients/lecteurs plutôt que se faire mousser avec un savoir abscons ou hors-sol.