Rencontre #8 – Une entreprise libérée, vraiment ? Bienvenue au Super Cafoutch !

Jean-Christophe Berthod a voulu me rassurer : l’entreprise libérée n’est pas toujours vouée à l’échec… il en veut pour preuve son expérience du Super Cafoutch !

Oui : au Super Cafoutch, il n’y a pas de chef, pas de fiches de poste. On n’y reçoit pas d’ordre.

On y trouve et on peut y pratiquer à peu près toutes les activités… de caissier (le plus demandé !) à la distribution de tracts pour recruter de nouveaux coopérateurs en passant par la logistique et la compta… vous aimez la polyvalence ? Et bien foncez !

On y fait l’expérience — aussi — d’un formidable moyen d’intégration collective.

Un échange engagé à partir de la lecture de mon Manuel de transgression à l’usage de ceux qui veulent s’épanouir au travail.

Jean Christophe Berthod Super Cafoutch Christophe Genthial Psychologue à Marseille

JC Berthod / Super Cafoutch : … j’ai vraiment adoré ton bouquin…

Christophe Genthial / Travail Vivant : … de ta part, ça ne pouvait pas me faire plus plaisir… sauf que je sens qu’il y a un « mais », à ton enthousiasme (sourire) ?

JC Berthod / Super Cafoutch : oui, il y en a un (sourire) ; quand tu écris que l’entreprise libérée « ça se termine mal, en général »… j’avoue que ça me gêne. Parce que je suis optimiste et que je veux y croire. Et parce que le Super Cafoutch c’est justement une belle expérience réussie d’entreprise libérée !

Christophe Genthial / Travail Vivant : … mais le Super Cafoutch, ça n’est pas tout à fait une société commerciale comme autre : c’est une coopérative ?

JC Berthod / Super Cafoutch : le Super Cafoutch c’est un supermarché coopératif et participatif.

Christophe Genthial / Travail Vivant : coopératif ?

JC Berthod / Super Cafoutch : le supermarché appartient à ses clients, coopérateurs, tous égaux dans la prise de décision : 1 personne = 1 voix. Quels que soient le montant et le temps investis dans le projet. Ce qui fait mon pouvoir c’est ma présence en tant que coopérateur. Pas ma part de capital.

Christophe Genthial / Travail Vivant : et participatif ?

JC Berthod / Super Cafoutch : chacun doit 3 h de temps par mois au projet, à consacrer au fonctionnement du magasin, autant qu’à son administration, à la communication, au recrutement de nouveaux coopérateurs…

Christophe Genthial / Travail Vivant : et qu’est-ce qu’on gagne en échange ?

JC Berthod / Super Cafoutch : on peut venir faire ses courses au supermarché, et accéder à des produits de qualité, respectueux de l’environnement, et moins cher.

*

Christophe Genthial / Travail Vivant : si tu devais citer une caractéristique centrale, marqueur du caractère « libéré » du Super Cafoutch ce serait laquelle ?

JC Berthod / Super Cafoutch : il n’y a pas de chef.

Christophe Genthial / Travail Vivant : aucun ?

JC Berthod / Super Cafoutch : absolument aucun. Pour une question de principe : tous égaux. Mais aussi pour une question juridique, qui mérite une vigilance extrême…

Christophe Genthial / Travail Vivant : … parce que vous êtes des travailleurs bénévoles ?

JC Berthod / Super Cafoutch : tout à fait. Le bénévolat, ça n’est pas du travail, au sens du Code du travail. Et si nous entretenions dans notre fonctionnement une forme de doute sur la question, alors notre bénévolat pourrait être requalifié en travail dissimulé… pour cette raison nous mettons tout en œuvre pour qu’il n’y ait jamais l’ombre du début d’une forme de subordination des coopérateurs à l’organisation… on ne doit jamais penser que l’un pourrait être le chef d’un autre…


Notre organisation est basée sur la confiance mais l’idée est de ne jamais se sentir perdu, de trouver sa place quelle que soit son expérience.


Christophe Genthial / Travail Vivant : une organisation sans chefs… alors sans ordre, mais il faut bien dire à chacun ce qu’il doit faire ?

JC Berthod / Super Cafoutch : ça peut surprendre oui, mais c’est la réalité : on ne donne jamais d’instructions ! Jamais d’ordre. Par contre, on a des fiches de procédures, des fiches de poste, qui décrivent ce qu’il faut faire quand on occupe tel ou tel poste : c’est comme ça que chacun sait ce qu’il a à faire.

Christophe Genthial / Travail Vivant : d’accord, mais j’imagine qu’un nouveau coopérateur ne saura pas ce qu’il doit faire, alors que l’ancien coopérateur saurait facilement lui dire quoi faire ?

JC Berthod / Super Cafoutch : bien sûr ! c’est pour cela que nous avons mis en place un système de tutorat des nouveaux par les plus expérimentés. Nous surnommons les coopérateurs des gabians et les nouveaux des oisillons (sourire). Notre organisation est basée sur la confiance mais l’idée est de ne jamais se sentir perdu, de trouver sa place quelle que soit son expérience.

Christophe Genthial / Travail Vivant : d’accord, mais que se passe-t-il si un coopérateur se comporte de manière inadaptée, j’imagine que ça peut arriver ? On n’est pas dans la possibilité d’une sanction « classique », à la manière d’un avertissement par exemple ? Il n’y a pas d’entretiens annuels d’évaluation j’imagine (sourire) ?

JC Berthod / Super Cafoutch : la gestion des conflits est une réalité dans toutes les organisations humaines… ça nous demande beaucoup de créativité. Soyons clairs, on apprend en avançant… on a mis en place un comité de médiation avec des coopérateurs formés à la gestion des conflits.

Christophe Genthial / Travail Vivant : tout ça doit participer à rendre le travail particulièrement « vivant » au Super Cafoutch, pour reprendre l’expression que je partage dans mon livre…

JC Berthod / Super Cafoutch : … vivant… comme la communauté des coopérateurs. On a aussi toujours à l’esprit que les coopérateurs tournent régulièrement, ne serait-ce que parce qu’ils déménagent et s’éloignent du Super Cafoutch. Nous sommes devenus les champions du « Wiki » ! Pour guider les nouveaux, et pour garder en mémoire ce qui fait fonctionner le Super Cafoutch, qui appartient autant à ses coopérateurs d’aujourd’hui qu’à ceux de demain !


Ça a été une de mes premières surprises. C’est très simple : tu as une idée ? Et bien super. Vas-y, mets-la en œuvre. C’est très différent de ce que propose l’entreprise classique. Où chacun n’a pas forcément la légitimité pour proposer des idées, et où il faut respecter des règles de validation…


Christophe Genthial / Travail Vivant : alors pas de chefs, pas d’instructions, pas d’ordres… donc ça fonctionne sur la base de l’engagement de chacun ?

JC Berthod / Super Cafoutch : c’est là où les choses se compliquent, mais aussi où elles deviennent passionnantes et tellement épanouissantes ! Ça a été une de mes premières surprises. C’est très simple : tu as une idée ? Et bien super. Vas-y, mets-la en œuvre. C’est très différent de ce que propose l’entreprise classique. Où chacun n’a pas forcément la légitimité pour proposer des idées, et où il faut respecter des règles de validation… ici — en gros — avoir des idées c’est bien, mais on comprend vite que si l’on n’est pas moteur pour les mettre en œuvre… et bien ça n’est pas bien utile…

Christophe Genthial / Travail Vivant : un exemple ?

JC Berthod / Super Cafoutch : je suis amateur de bière. J’ai eu envie d’enrichir le catalogue. Et bien je m’y suis collé, avec ceux que ça intéressait. Pour choisir les brasseurs, les produits. Et s’il faut réapprovisionner, c’est en général moi qui m’en occupe. Si je ne le fais pas… et bien tant pis pour mes envies de bières… et celles des autres clients coopérateurs.

*

Christophe Genthial / Travail Vivant : je t’ai entendu utiliser le terme d’épanouissement ?

JC Berthod / Super Cafoutch : oh oui ! L’épanouissement, c’est d’abord parce que le projet est un formidable levier d’intégration sociale sur le territoire.

Christophe Genthial / Travail Vivant : tu penses aussi à une forme d’épanouissement au travail ?

JC Berthod / Super Cafoutch : absolument ! c’est un véritable laboratoire de l’épanouissement au travail… toi que le sujet intéresse, tu t’y régalerais ! J’ai bien aimé le chapitre de ton livre où tu écris qu’il « n’existe pas de sots métiers, mais juste encore des sots qui ne l’ont pas compris »… tu sais quelle est l’activité la plus demandée pour faire ses heures de bénévolat ?

Christophe Genthial / Travail Vivant : aucune idée…

JC Berthod / Super Cafoutch : le métier dont rêvent tous nos enfants… caissiers !

Christophe Genthial / Travail Vivant : caissier ? Parmi les métiers les plus facilement déconsidérés aujourd’hui !

JC Berthod / Super Cafoutch : mais oui ! C’est fantastique, le métier de caissier : plein de surprises, d’échanges. Alors bien sûr on fait caissier « à la manière du Super Cafoutch », avec nos « gestes métiers », qu’on a imaginés nous-mêmes, qui sont surement bien différents de ceux des caissier.ères des supermarchés classiques…

Christophe Genthial / Travail Vivant : … et pour ceux qui ne voudraient pas faire caissiers ? Que proposez-vous comme autres métiers ?

JC Berthod / Super Cafoutch : … la palette est large… infinie (sourire)… pour approcher la question avec plus de justesse, je dirais plutôt, s’il fallait parler en termes de métier, que nous partageons avant tout le « métier » original de coopérateur… ce qui se traduit par une multitude d’activités possibles, avec une polyvalence que je n’ai jamais retrouvée ailleurs !

Christophe Genthial / Travail Vivant : de caissier à comptable, en passant par le rangement des rayons ?

JC Berthod / Super Cafoutch : … et bien au-delà… participer à la communication en tractant par exemple, est une activité qui a autant de « valeur » que de tenir la caisse… l’organisation de réunions est aussi par exemple une activité à part entière, tant il s’agit de moments cruciaux pour la gouvernance du Super Cafoutch !


Force est de constater que les coopérateurs s’engagent le plus souvent chez nous sur des activités éloignées de leur « vrai » métier. Ça révèle que l’expérience de coopérateur est bien une expérience « originale » dans laquelle on ne cherche pas à « recopier » le réel. Mais à travailler à quelque chose d’autre !


Christophe Genthial / Travail Vivant : vous devez aussi avoir dans vos coopérateurs des spécialistes dans des domaines techniques utiles au Super Cafoutch  (RH, logistique, finance, achat…) ? Vous en cherchez peut-être encore ?

JC Berthod / Super Cafoutch : bien sûr. Mais force est de constater que les coopérateurs s’engagent le plus souvent chez nous sur des activités éloignées de leur « vrai » métier. Ça révèle que l’expérience de coopérateur est bien une expérience « originale » dans laquelle on ne cherche pas à « recopier » le réel. Mais à travailler à quelque chose d’autre !

Christophe Genthial / Travail Vivant : on peut aussi varier les plaisirs et toucher un peu à tout ?

JC Berthod / Super Cafoutch : oui, au Super Cafoutch il y a une polyvalence exceptionnelle, qui permet d’échapper à la monotonie, et de voir l’activité dans sa globalité autant que dans toute sa complexité… je dirais qu’on ne s’ennuie jamais. On apprend toujours. Et toujours ensemble.

Christophe Genthial / Travail Vivant : … au Super Cafoutch, vous travaillez aussi pour « vous-mêmes », c’est une différence essentielle avec l’entreprise, non ? Ça donne tout son sens à son travail ? On ne travaille ni « pour un chef », ni « pour un actionnaire », ni « pour un salaire » ?

JC Berthod / Super Cafoutch : oui, c’est vrai. Sans tomber dans une lecture trop marxiste de l’entreprise, c’est néanmoins très juste. C’est là qu’on se rapproche vraiment d’une forme « idéale » de l’entreprise libérée, grâce à avec cette coopérative participative.

Christophe Genthial / Travail Vivant : d’autant plus qu’on peut considérer que le coopérateur perçoit une forme de rétribution par l’accès au Super Cafoutch et à ses produits, mais aussi au plaisir du partage collectif du projet ?

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JC Berthod / Super Cafoutch : alors tu vois que l’entreprise libérée ça peut être une histoire qui « se termine bien » !

Christophe Genthial / Travail Vivant : oui, dans cette perspective « coopérative et participative », sans hésitation. J’espère que ce moment ensemble donnera l’envie à tous ceux qui s’interrogent sur les entreprises libérées, de se pencher sur votre histoire !

JC Berthod / Super Cafoutch : ils seront les bienvenus !

Christophe Genthial / Travail Vivant : et pour tous ceux qui veulent rejoindre votre aventure ?

JC Berthod / Super Cafoutch : on les accueillera très volontiers ! Ils trouveront toutes les informations utiles ici. Nous organisons régulièrement des réunions d’information conviviales à l’intention des futurs possibles coopérateurs…

Christophe Genthial / Travail Vivant : conviviales… des apéros d’information ?

JC Berthod / Super Cafoutch : c’est ça (sourire). À bientôt au 14 Rue Louis Astouin, dans le 2ème à Marseille et de manière imminente dans nos nouveaux locaux du 16 rue du Chevalier Roze !

Christophe Genthial / Travail Vivant : merci pour l’échange Jean-Christophe, et sincèrement beaucoup de plaisir et de réussite au Super Cafoutch !