Rencontre #7 – Avec Olivier Giraud avocat au barreau de Marseille

Être avocat (au barreau de Marseille) est une importante source de plaisir pour Olivier Giraud, vécue avec l’obsession de « faire triompher la vérité humaine face à une vérité juridique, celle du juge » !

Olivier développe avec nous quelques-uns de ses « gestes métiers ».

Et nous parle aussi de Marseille, où rien ne peut se passer tout à fait comme ailleurs.

C’est aussi l’occasion de tisser quelques fils communs à nos deux métiers : l’avocat et le psychologue. Un échange engagé à partir de la lecture de mon Manuel de transgression à l’usage de ceux qui veulent s’épanouir au travail

Olivier Giraud Christophe Genthial Psychologue à Marseille

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : Christophe, ton livre est un hymne à la créativité et à la lutte contre la résignation ! J’y adhère totalement, quand je regarde mes 33 ans de vie professionnelle : tellement de plaisirs ; encore aujourd’hui, comme au premier jour !

Christophe Genthial / Travail Vivant : quelle entrée en matière (sourire) ! ça me donne envie évidemment de te demander d’où vient ce plaisir ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : disons que je vis mon métier d’avocat à la manière d’un médecin : je dois trouver une solution à mes clients, qui n’ont rien à faire du droit. Comme un médecin avec ses patients qui n’ont rien à faire la médecine. Avec une différence qui me va bien : je n’ai pas à formuler un diagnostic.

Christophe Genthial / Travail Vivant : Olivier, la formule « une procédure ne fonctionne que parce qu’on ne l’applique pas » sur laquelle j’appuie mon livre et mon travail ne pouvait pas laisser indifférent l’avocat que tu es ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : et plus que jamais dans l’époque que nous vivons, qui voit se développer de manière exponentielle les règles… avec cette absurdité qui veut que plus il y ait de règles, plus il y a de déviances ! C’est une dérive infernale…

Christophe Genthial / Travail Vivant : … à une nuance près, que les déviances dont tu parles sont critiquables, mais que les transgressions dont je parle sont porteuses de développement et d’épanouissement, car c’est grâce à elles que l’on parvient à appliquer les règles, consignes, principes qui encadrent nos vies ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oui : pour s’en sortir, plus que jamais, nous devons tous nous responsabiliser, ce qui nous demande de nous détacher des lois et des règles, pour en appeler au bon sens. La loi donne un cadre, mais ne dit pas comment s’y conformer.

Christophe Genthial / Travail Vivant : Olivier, que vois-tu dans ta pratique qui caractériserait ta manière de faire ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : mon travail d’avocat c’est de contribuer à faire triompher une vérité humaine face à la vérité juridique que l’on trouve auprès du juge. Je participe à aller chercher une vérité socialement acceptable, et judiciairement consacrée.

Christophe Genthial / Travail Vivant : par où commences-tu ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : il faut d’abord être curieux. Je dis souvent que mon travail commence avec la lecture quotidienne de La Provence. Ensuite il faut de l’audace. De l’audace humaine : aller dans l’intimité des clients, de leur situation. Mais toujours sans voyeurisme.

Christophe Genthial / Travail Vivant : je repère dans ce que tu dis des manières de faire très proches des miennes, en tant que psychologue : c’est essentiel pour moi d’installer le cadre, les moyens d’une coopération efficace entre moi et le patient. Pour toi aussi la coopération avec ton client, son engagement à tes côtés, sont essentiels ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : absolument.

Christophe Genthial / Travail Vivant : nous psychologues, nous parlons de « l’alliance thérapeutique », qui associe de manière indispensable le thérapeute et son patient. À moi de créer au fil des consultations les conditions qui permettent le déploiement de cette coopération. Toi, comment fais-tu ?


Tout commence dans ce bureau, mon cabinet. C’est un sanctuaire. Tout ce qui s’y dit relève du secret professionnel absolu.


Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : ça commence ici, dans ce bureau, mon cabinet. C’est un sanctuaire. Tout ce qui s’y dit relève du secret professionnel absolu. Je mets à l’aise mon client, qui arrive en général très stressé, très inquiet, plein de questions et d’espoirs. J’affiche aussi mon professionnalisme en ouvrant rapidement des pistes.

Christophe Genthial / Travail Vivant : tu dois rencontrer des clients qui voudraient t’emmener dans une impasse ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : une situation que tu connais surement toi aussi avec tes patients ? Moi j’ai plus de liberté que toi. Je ne suis pas thérapeute, je suis un mandataire. Je suis très à l’aise pour évaluer la proposition de mon client, et partager mon point de vue si je le pense utile : « je connais bien les juges, ici, et ce que vous dîtes ça ne passera pas », par exemple.

Christophe Genthial / Travail Vivant : tu peux t’opposer à un client ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oui, ça m’arrive de refuser le conflit que me demande d’engager le client. Je clarifie mes limites. Le client accepte ou refuse.

Christophe Genthial / Travail Vivant : je t’ai entendu parler d’empathie : dans ma posture de psychologue, mais aussi de coach, je pratique régulièrement l’écoute empathique. Un exercice délicat mais tellement utile. Que tu pratiques toi aussi ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oh oui. Bien sûr. Mais c’est sans doute moins central dans ma pratique que dans la tienne. Je ne suis pas là forcément pour pacifier. L’avocat c’est parfois l’arme de la guerre moderne. Tu sais, lorsqu’il est mis feu à un HLM habité pour créer les conditions d’un rachat et d’une opération de promotion immobilière, mon rôle c’est aussi de protéger mon client, mis en danger par l’incendiaire. J’attaque alors sans pitié. C’est ce sur quoi je vais surtout me concentrer.

Christophe Genthial / Travail Vivant : tu parles de « guerre », mais est-ce qu’il y a des situations où le conflit ne finit pas devant le juge ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : lorsque ça arrive, c’est mon plaisir suprême, y arriver sans jugement ! On peut par exemple maintenant légaliser un divorce sans juge. J’étais très frileux au départ, puisqu’on perdait cette validation du juge, qui permet d’identifier des erreurs, des anomalies… j’ai beaucoup évolué et trouve cette possibilité très intéressante finalement. Tant que l’on ne perd pas de vue l’essentiel en matière de divorce : on peut transiger sur tout, mais pas sur les droits de l’enfant.

Christophe Genthial / Travail Vivant : les parents parviennent à l’entendre ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : je dois parfois faire preuve d’autorité. Avec une vérité difficile à admettre : on peut être mère maquerelle ou chef mafieux, et pour autant être une bonne mère et un bon père…


Je travaillais de plus en plus dans la spontanéité. Mais le temps passant je résiste de plus en plus à l’exigence d’immédiateté. J’ai confiance dans la nuit, et à l’efficace travail de fond qu’elle permet.


Christophe Genthial / Travail Vivant : et si on rentrait plus en détail dans tes gestes métiers préférés ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : avec plaisir ! J’ai bien aimé dans ton livre l’utilisation de l’expression « gestes métiers », mais aussi de la formule du « dictionnaire des gestes métiers » : elles clarifient ce que j’avais en tête de manière moins formelle, mais très présente depuis toujours.

Christophe Genthial / Travail Vivant : je te rejoins, c’est tellement essentiel ce dictionnaire des gestes métiers : le recueil de toutes nos façons de faire, que nous avons développées, et continuons de développer. Seul mais aussi dès que nous le pouvons, avec d’autres. Olivier, quels sont les premiers gestes métiers qui te viennent à l’esprit ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : d’abord la spontanéité. Je travaillais beaucoup dans la spontanéité. Mais le temps passant, je vois que je résiste de plus en plus à l’exigence d’immédiateté. Tu m’entendras souvent dire « laissez-moi au moins une nuit pour vous répondre ». J’ai confiance dans la nuit, et à l’efficace travail de fond qu’elle permet. Ma spontanéité transparait néanmoins encore en ce que j’appartiens à la catégorie des avocats qui n’écrivent pas leur plaidoirie. Je réserve de cette manière un large espace à l’audace et à ce qui permet d’adapter à la réalité de l’action le résultat du travail de réflexion qui l’a précédée.

Christophe Genthial / Travail Vivant : pour autant, tes plaidoiries ne sont évidemment pas que de l’improvisation… comment les prépares-tu ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : les plaidoiries, je les mouline. Et plaisir suprême, apparaissent au milieu de ces réflexions ces phrases qui vont faire mouche à l’audience. Comme des banderilles, jusqu’à l’estocade…

Christophe Genthial / Travail Vivant : … tu penses à la tauromachie quand tu plaides ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oui, vraiment. Je sais que cette référence est polémique. Mais elle est tellement forte et présente dans ma pratique : l’importance de la préparation avant le combat, cette représentation unique, avec cette même forme de radicalité du résultat puisqu’il n’y aura qu’un gagnant. Et puis cet espace qu’est le tribunal que je vois un peu comme une forme d’arène, avec aussi sa part de spectacle bien sûr…

Christophe Genthial / Travail Vivant : … mais le torero est seul dans l’arène ? Toi tu n’es pas seul, tu as tes collaborateurs, ton client et sa famille, ses amis éventuellement, ses relations ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : … mais pas du tout, le torero n’est absolument pas seul ! Il finit seul face au taureau, mais il y est et il va s’en sortir grâce à toute son escadrille. Donc oui, je ne suis pas seul, l’avocat à l’audience n’est pas seul, comme le torero n’est pas seul face au taureau. On retrouve aussi l’importance de la confiance entre tous les membres du collectif qui accompagnent l’avocat. Et puis j’ajouterai qu’en tauromachie aussi on doit respecter des règles… tout en les appliquant de façon intelligente et créative, comme tu l’évoques dans ton livre !


C’est un combat, la plaidoirie, il faut faire trébucher l’adversaire sans à aucun moment trébucher soi-même.


Christophe Genthial / Travail Vivant : et bien sûr le parallèle avec la tauromachie prend tout son sens au moment des plaidoiries ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oh oui ! Quels moments ces passes, banderilles, plantées au fil de la procédure, de l’audience, jusqu’à l’estocade finale… c’est tellement excitant : la tension, le mélange de pression, de contrôle, de décontraction, tout est toujours calculé… jusqu’à la chute de la partie adverse…

Christophe Genthial / Travail Vivant : un exemple à partager pour nous faire toucher du doigt ces moments ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : allez, prenons cette affaire, que tu peux partager. C’est un dossier très « classique » : un salarié conteste le caractère économique de son licenciement par son employeur cordonnier du centre de Marseille… l’affaire va en appel : mon client, l’employé, a perdu en première instance. Pendant l’audience, je parviens à amener à la barre le cordonnier, son ancien patron, qui fait l’erreur de ne pas voir le piège… l’étape suivante c’est lorsque je parviens cette fois à amener le juge à lui demander : « je n’ai pas trop compris pourquoi c’est celui-là [mon client] que vous avez licencié ? »… le cordonnier, sanguin comme je le sentais, répond trop spontanément… « mais parce que c’était le plus con ! »… 6 mots. Juste 6 mots qu’il fallait juste faire sortir, et l’affaire est pliée. Je n’avais plus qu’à remercier le président et ranger mes affaires. La partie adverse avait admis de manière éclatante (et avec quel style [sourire] !) qu’aucune justification économique n’avait motivé le licenciement de mon client !

Christophe Genthial / Travail Vivant : c’est un combat, les plaidoiries ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oui. Il faut faire trébucher l’adversaire. À aucun moment trébucher soi-même. Il y a de l’engagement. Du risque. Comme le torero tourne autour du taureau, et le blesse, le fatigue, les deux parties se tournent autour pour mettre l’autre au sol… et tu n’imagines pas le plaisir lorsque le combat est gagné !

Christophe Genthial / Travail Vivant : pour autant, l’audience ne se résume pas au plaisir de la lutte ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : bien sûr : il y a surtout au cœur du combat cette obsession : « en quoi je vais faire du bien à mon client ».


Je vais régulièrement utiliser l’actualité marseillaise pour engager les débats… bien sûr l’OM n’est jamais loin. Et puis il y a les « Marseillaiseries »…


Christophe Genthial / Travail Vivant : nous sommes à Marseille. On dit que rien ne s’y passe comme ailleurs ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : ce que je sais c’est que je vais régulièrement utiliser l’actualité marseillaise pour engager les échanges… bien sûr l’OM n’est jamais loin, dans ces discussions plus « légères » qui souvent introduisent les audiences. Et puis il y a les « Marseillaiseries », par exemple tu pourrais m’entendre dire à un juge en le tutoyant « ça serait ta fille, tu ferais ça ? » ; je ne suis pas certain que ça puisse se faire ailleurs. Mais c’est un art qui se travaille et se maîtrise : à utiliser en réalité avec une grande subtilité, pas toujours visible de l’extérieur pour un non-initié (sourire) !

Christophe Genthial / Travail Vivant : je vois dans tout ça un travail bien « vivant » comme je les aime ! Avec de beaux « gestes métiers ». Mais il existe surement aussi des « mauvais gestes » ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : aussi. Cet avocat adverse par exemple, totalement en perdition au tribunal de commerce de Marseille. Qui jette volontairement au sol tout son dossier, pour casser la dynamique du débat quand celui-ci lui devenait trop préjudiciable… tout le monde l’a vu faire ! Sauf le juge qui pense que la pile de dossiers a glissé toute seule et ne réagit pas, en laissant le temps à l’avocat de ramasser ses feuilles… tout le monde perd le fil… l’avocat adverse a obtenu le répit qu’il voulait. Alors voilà : oui, c’est en quelque sorte un « beau geste » dans le sens où il a obtenu ce qu’il voulait. Mais ça mérite un vrai carton rouge pour le caractère parfaitement inélégant, déloyal, malhonnête de la manœuvre… Mais bon : j’ai dû composer avec. Pas le choix.

Christophe Genthial / Travail Vivant : l’audience, comme la tauromachie, c’est cette représentation unique, où les conséquences de chaque geste ne sont pas rattrapables ?

Olivier Giraud / Avocat au barreau de Marseille : oui. Je dirais bien que l’audience c’est le Graal de l’avocat – je parle pour moi hein ! – c’est un moment d’une intensité incroyable, et c’est ce qui me fait avancer !